Par Sophie Audoubert, Autrice et professeure au lycée Voltaire à Paris
Ce texte a été initialement publié dans SlateFR
Un élève de l’École polytechnique pose avec le tricorne de l’uniforme de l’école, le 5 juin 2003. | Joël Robine / AFP
Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) sont considérées comme le bras armé de la méritocratie à la française, justifiant d’un coût par étudiant nettement plus élevé qu’à l’Université: en 2019, l’État a dépensé en moyenne 15.710 euros pour un élève de CPGE, contre 10.110 euros pour un étudiant à la fac. Les concours auxquels préparent ces classes dites d’excellence sont tenus, par leurs exigences comme leurs protocoles, pour des exemples vertueux de justice scolaire: les meilleurs, autrement dit les plus méritants, sont les élus, certes rares, mais naturels.
L’École polytechnique (X) est particulièrement emblématique, dans l’imaginaire collectif, de cette juste sélection par l’effort combiné au talent, parce qu’elle choisit ses aspirants non en fonction de leur réussite dans des disciplines marquées socialement dans la mesure où leur maîtrise dépend en partie du milieu dans lequel on a baigné dès son plus jeune âge (tout le monde connaît à présent les travaux de Bourdieu et Passeron sur le sujet), mais dans les sciences dites «dures», celles qu’on ne saurait soupçonner de biais culturels, les sciences objectives, pures de toute influence ou domination bourgeoise, pour le dire clairement. Et pourtant.
Pourtant ses promotions successives la révèlent comme le miroir désolant des inégalités profondes qui minent notre école, incapable de redresser les injustices de naissance, qu’elle ne sait que reproduire au contraire, voire aggrave. Ainsi, en ce qui concerne Polytechnique, cet écart abyssal entre les enfants d’ouvriers et les enfants de cadres semble figé depuis des décennies, renvoyant l’école à une impuissance tragique.
Si on observe à la louche les statistiques, on constate par exemple que, à la fin des années 1950, moins de 3% des enfants d’ouvriers intégraient l’X, alors qu’ils représentaient entre 30 et 40% de la population; aujourd’hui, ils comptent pour 1,1% des reçus (pour 19,6% d’ouvriers dans la population globale). À l’inverse, à la même période, les enfants de cadres étaient près de 50% à rejoindre Polytechnique alors qu’ils représentaient moins de 5% de la population; aujourd’hui, ils constituent 81% d’une promotion (pour 19,3% de cadres dans la population globale).
Les chiffres sont implacables: l’École polytechnique, loin d’être un exemple de méritocratie, est une machine à reproduire les inégalités sociales, de génération en génération –sauf à penser que les enfants de cadres seraient, par nature, plus méritants que les enfants d’ouvriers: idéologie aristocratique et essentialiste qui reviendrait à nier la possibilité même d’une méritocratie.
Cette réalité est d’autant plus regrettable dans un pays démocratique que les anciens élèves de l’X composent une grande partie de l’élite économique et politique, autrement dit occupent les positions de pouvoir, lesquelles apparaissent de facto, nonobstant les chantres les plus enthousiastes de la méritocratie républicaine, comme le monopole infrangible des classes sociales les plus favorisées.
On peut dès lors s’interroger sur le bien-fondé d’une dépense de l’État 50% plus élevée pour ceux qui disposent déjà, par le hasard de leur naissance, des ressources les plus importantes, surtout à une époque où la réforme Parcoursup a fait la démonstration éclatante de la paupérisation accélérée de l’Université française.
Ce sont les mathématiques, qu’on rêverait pourtant neutres socialement, qui participent le plus à cette aggravation.
Alors, on cherchera à minimiser le scandale en arguant qu’il ne s’agit là que de la conséquence, certes fâcheuse, mais inévitable en l’état, d’inégalités en amont, qui ne font ensuite que croître au cours de la scolarité pour finalement expliquer ce déséquilibre. Le concours d’entrée à l’X serait, lui, pur de toute compromission avec le népotisme –ou, pour le dire plus aimablement, avec des stratégies de parrainage–, un exemple d’objectivité républicaine.
Or, une étude très fouillée et passionnante, publiée en 2018 dans la revue de sciences humaines Sociologie, par Nicolas Berbouk, lui-même ancien élève de l’école, et son professeur de sociologie d’alors, Pierre François, a montré que, si les inégalités en amont jouent en effet un rôle important, la nature même du concours les accentue encore. Les conclusions des auteurs, dont on peut lire un résumé sur le site de Libération, sont d’autant plus déroutantes, et alarmantes, que ce sont les mathématiques, qu’on rêverait pourtant neutres socialement, qui participent le plus à cette aggravation.
Un tel constat met à nu la grande illusion du mythe républicain de la méritocratie et le révèle pour ce qu’il est: un mythe, destiné, comme les sociologues de l’éducation –Marie Duru-Bellat ou Pierre Merle par exemple– le montrent depuis plusieurs années, à justifier l’emprise des classes les plus favorisées sur les places de pouvoir.
Dans L’inflation scolaire (2006), Marie Duru-Bellat questionne ainsi la logique méritocratique telle qu’elle est mise en œuvre dans l’école française depuis la massification scolaire des années 1970: «Pour l’heure, le mérite est convoqué pour justifier la stratification sociale et les inégalités –il lui apporte un “moral gloss”, un vernis moral. En d’autres termes, l’égalité des chances proclamée justifie des inégalités de situations bien réelles: croire en la méritocratie rend plus tolérant aux inégalités existantes (tant à l’école que dans le monde professionnel) puisque tout le monde a eu sa chance et que ce sont les meilleurs qui ont gagné.»
Un jeu joué d’avance
En effet, l’étude de MM. Berbouk et François montre que le destin des futurs polytechniciens s’est joué dès la troisième au moins, ce qui semble bien tôt, pour se renforcer selon la classe préparatoire à laquelle ils ont eu accès et, enfin, par voie de conséquence, se confirmer dans les biais d’évaluation du concours lui-même.
Les auteurs constatent, avec d’autres avant eux, que «l’entrée dans les institutions d’élite intervient en effet au terme d’une longue trajectoire d’amplification progressive» mais leur apport déterminant est de montrer que, contrairement à une croyance répandue, le concours ne fait pas «qu’enregistrer des inégalités constituées en amont»: il a, sur elles, un effet propre. Dès lors, leur étude donne des outils précieux pour déconstruire un système qui se prévaut des vertus de la compétition, voire de la concurrence scolaire, au nom d’une saine sélection des meilleurs.
La méritocratie tant vantée est bien, en réalité, une aristocratie.
Si une telle logique néolibérale appliquée à l’école est en elle-même discutable, on ne peut que s’inquiéter, quand bien même on admettrait les vertus théoriques d’un tel système, de reconnaître que les règles sont faussées et le jeu joué d’avance. Les conséquences sur le tissu social, sur la solidité du pacte républicain censé nous unir, sont, bien qu’en bonne partie souterraines, potentiellement cataclysmiques. Et les mouvements sociaux de ces dernières années, où l’on a vu des personnes se révolter en nombre contre l’enfermement social dans lequel elles vivaient, pourraient bien en être des signes précurseurs.
L’observation des chiffres permet de constater un véritable effet d’entonnoir où, quand on appartient aux catégories socioprofessionnelles moins nombreuses mais plus favorisées (cadres et professions intellectuelles supérieures), on a beaucoup plus de chances d’intégrer Polytechnique, et inversement.
Ainsi, les enfants de CSP+ sont bien moins nombreux que les enfants d’ouvriers et d’employés mais ils sont 30,4% parmi les étudiants, 50% parmi les élèves de CPGE, 71% parmi les candidats à l’X et, on l’a vu, 81% parmi les reçus. Les enfants d’ouvriers, eux, comptent pour 10,7% des étudiants, 6% des élèves de CPGE, 2% des candidats et 1,1% des admis (source: François et Berkouk).
Ces résultats sont sans appel: la méritocratie tant vantée est bien, en réalité, une aristocratie, et l’École polytechnique, qui fournit une partie importante de ceux qui détiennent les clefs du pouvoir politique et économique, est très loin de représenter la société telle qu’elle est. Remarquons au passage qu’à ces filtres socioprofessionnels s’ajoutent, sans surprise, des filtres de genre tout aussi radicaux, puisque les étudiantes représentent seulement 15 à 20% des effectifs de l’X.
Le cas de Polytechnique est extrême, mais on retrouve un déséquilibre similaire dans toutes nos grandes écoles.
Pour être reconnu par la méritocratie, il vaut mieux, d’abord, avoir effectué sa scolarité en région parisienne et, plus précisément, dans les académies de Paris et Versailles: 47,4% des admis à Polytechnique ont passé leur brevet en Île-de-France (qui scolarise 19,1% des élèves du secondaire), dont 42,4% dans les académies de Paris et Versailles (5% d’admis pour Créteil, ce qui se passe de commentaire…). Les autres régions se partagent les miettes.
L’entonnoir se rétrécit encore davantage lorsqu’on se penche sur les deux classes préparatoires qui présentent et intègrent le plus de candidats: l’une est privée, au lycée Sainte-Geneviève (académie de Versailles), l’autre publique, au lycée Louis le-Grand (Paris Ve). On pourrait se rassurer de reconnaître une répartition, sinon équitable puisque le privé scolarise beaucoup moins d’élèves que le public, du moins équilibrée.
Mais, si le lycée Louis-le-Grand joue un peu plus son rôle méritocratique en scolarisant davantage d’élèves issus des classes moyennes et populaires que le lycée Sainte Geneviève, le ratio reste en faveur des classes les plus favorisées, et de manière écrasante: 75,2% des candidats présentés par le lycée parisien à Polytechnique viennent des classes supérieures; le chiffre monte à 88,3% pour le lycée privé versaillais.
Le brassage social des candidats, et a fortiori des admis, d’une grande école qu’on voudrait voir comme un trésor de la méritocratie, est, de fait, inexistant. Le cas de Polytechnique est extrême, mais on retrouve un déséquilibre similaire dans toutes nos grandes écoles, comme en témoignent les statistiques.
Ce qui se joue là est la conséquence d’un entre-soi de plus en plus marqué dans l’école française, aux antipodes des idéaux républicains d’égalité et de fraternité, entretenu par les stratégies d’évitement et de concurrence mises en œuvre par les plus favorisés d’entre nous pour maintenir leur emprise sur le système, tout en masquant leur logique de sécession, très bien montrée dans une étude de la Fondation Jean-Jaurès publiée en février 2018, derrière l’illusion du mythe méritocratique.
Ainsi, en aggravant les processus discriminants déjà à l’œuvre tout au long de la scolarité, les biais d’évaluation du concours de l’X mis en lumière par l’étude de MM. Berkouk et François viennent valider, légitimer, le tri social que l’école française nourrit au lieu de combattre, en le parant des atours trompeurs de l’objectivité.
La question du privé
Quelles leçons tirer de ces constats? D’abord, ils obligent à poser la question de la place et du rôle du privé dans ces mécanismes de discriminations qui favorisent l’entre-soi et la reproduction sociale, véritable poison non seulement pour l’école mais pour le pacte républicain et démocratique lui-même. L’école publique, c’est un fait plutôt reconnu désormais, est malade. Et elle est malade, notamment, du privé.
L’État, autrement dit l’argent public, contribue largement au financement de l’enseignement privé sous contrat, dont il paie les enseignants et les frais de fonctionnement; seul l’entretien des locaux dépend finalement de financements privés, via les frais d’inscription notamment. Selon cet article de Libération, environ 10% du budget global de l’Éducation nationale est attribué à l’enseignement privé, pour les premier et second degrés.
L’enseignement privé ne joue pas le jeu de la mixité sociale et participe grandement de la ghettoïsation des établissements publics.
Suivant la perspective adoptée, on considérera que c’est peu ou, au contraire, que c’est énorme, surtout quand on sait que l’école publique se meurt à petit feu de décennies de vache maigre. Ainsi, comme le précise l’article cité, 10% c’est moins que le nombre d’élèves scolarisés dans le privé, soit 17% en moyenne –avec, néanmoins, une différence non négligeable entre le premier et le second degrés (14% et 21,2% respectivement).
Cependant, alors que l’enseignement privé profite de cette manne publique, il ne joue pas le jeu de la mixité sociale et participe grandement de la ghettoïsation des établissements publics en les drainant, littéralement, de leurs élèves les plus favorisés.
En juillet dernier, le tribunal administratif de Paris a contraint l’État à rendre public l’indice de positionnement social (IPS) des collèges, publics et privés, ce qu’il se gardait bien de faire jusqu’à présent. Une observation de l’indicateur permet de mesurer combien le secteur privé détruit petit à petit toute possibilité de mixité sociale à l’école, notamment dans les territoires les plus sensibles mais pas seulement.
L’exemple de Paris, sur lequel je me concentrerai, tout en ayant conscience des particularités de cette académie, est à cet égard édifiant. Et j’invite le lecteur à se pencher sur les chiffres dans sa propre académie. L’enseignement privé représente à Paris 64 collèges sur 178, soit 36%. Les deux arrondissements où le nombre de collèges privés est largement supérieur au nombre de collèges publics sont le VIe (6 pour 2) et le VIIe (5 pour 2); à l’inverse, les arrondissements où le nombre de collèges publics est bien plus important sont les XVIIIe (11 pour 3), XIXe (13 pour 4) et XXe (12 pour 5).
Le mythe de la méritocratie sert à nourrir l’illusion des bienfaits supposés d’une compétition scolaire aux règles complètement faussées.
L’implantation de l’enseignement privé dans un territoire semble donc directement corrélée à l’appartenance sociale de ses habitants. Par ailleurs, la moyenne de l’IPS sur l’ensemble de l’académie, public et privé confondus, est de 121,7. Si on distingue privé et public, le gouffre se creuse: 135,6 pour le premier, soit bien au-dessus de la moyenne, et 113,9 pour le second, soit bien en dessous. Seuls 17,2% des collèges privés ont un IPS inférieur à la moyenne académique, alors que c’est le cas de 63% des collèges publics.
Le classement des dix collèges à l’IPS le plus élevé et des dix collèges à l’IPS le plus faible est, de même, sans appel: les dix premiers sont tous privés (avec un IPS au dessus de 150…), à l’exception du collège Victor-Duruy, dans le VIIe arrondissement, qui arrive en septième position; les dix derniers sont tous publics (avec un IPS inférieur à 90).
Prenons un dernier exemple, tout aussi éloquent: dans le XIXe arrondissement, la moyenne de l’IPS dans les collèges privés est de 130,5 tandis qu’elle est de 99,2 pour le public; aucun établissement privé ne se situe sous la moyenne académique dans cet arrondissement plutôt populaire, alors que c’est le cas de 92% (12 sur 13) des collèges publics. Il apparaît clairement que le privé joue un véritable rôle de séparatisme social. Il est peut-être temps de s’en préoccuper dans la mesure où il fonctionne grâce à l’argent de la République.
Le piège de la compétition scolaire
Comme l’a montré l’exemple de l’École polytechnique, le mythe de la méritocratie sert à nourrir l’illusion des bienfaits supposés d’une compétition scolaire dont les règles sont complètement faussées et qui, loin de sélectionner les meilleurs ou les plus méritants indépendamment de leur origine sociale, sélectionne en réalité les plus riches, lesquels sont désignés d’avance, et dès le collège, comme les gagnants «légitimes».
Les études PISA successives le montrent suffisamment, la France est le pays de l’OCDE où la corrélation entre le statut social des parents et la réussite scolaire est la plus forte. Parallèlement, le budget de l’Éducation nationale est un des plus élevés des pays développés, pour n’aboutir, à la fin, qu’à entretenir le déterminisme social sur les trajectoires scolaires, alors que les politiques destinées à y remédier (ZEP, assouplissement ou renforcement de la carte scolaire…) semblent désespérément impuissantes.
L’école publique se voit enfermée dans un cercle vicieux infernal dont les élèves les plus fragiles sont les premières victimes, sacrifiées sur l’autel de la sainte concurrence. Sortir de ce cercle vicieux, qui profite à une part infime de la population, et certainement pas à la société dans son ensemble, puisqu’elle s’en trouve dangereusement fragmentée, exige de sortir de cette logique de compétition ou, à tout le moins, de la retarder le plus possible, au niveau de la licence voire du master par exemple.
Le taux de scolarisation des élèves français dans le secondaire privé est un des plus forts d’Europe, et s’élève d’année en année.
Dans L’inflation scolaire, Marie Duru-Bellat écrit ainsi: «Si l’école veut être à la hauteur de sa fonction éducative et culturelle, cela suppose qu’elle sache résister à l’emprise du mérite, qu’elle accepte de différer toute logique de compétition pour d’abord et avant tout s’efforcer d’assurer à tous une éducation solide, facteur d’émancipation, d’intégration et de justice.»
Pour l’heure, cette compétition scolaire, qui est en fait, surtout, une compétition sociale, favorise l’enseignement privé, sans que jamais ne soit posée la question de son financement par l’État. Le taux de scolarisation des élèves français dans le secondaire privé est un des plus forts d’Europe, et s’élève d’année en année. De fait, c’est à partir du collège que s’engage la course aux meilleures places qui caractérise notre système –et, ajouterai-je, qui le ruine de l’intérieur. Et les établissements publics ne jouent pas à armes égales avec les établissements privés, parce qu’ils ne sélectionnent pas –et c’est heureux– leurs élèves.
Or, dans une telle logique concurrentielle, l’«attractivité» des établissements est définie par leur réputation; ce qui fait la réputation d’un établissement scolaire, ce n’est pas, d’abord, la qualité de son offre pédagogique ou de ses équipes, c’est son recrutement, lequel détermine directement les taux de réussite, soit les indicateurs qui intéressent les parents soucieux de donner les meilleures chances à leurs enfants dans la jungle de la compétition scolaire.
Alors, si l’enseignement privé contribue à fausser les règles, s’il ne joue pas le jeu de l’égalité républicaine mais, à l’inverse, annihile toute possibilité de mixité scolaire et surtout, on l’a vu, sociale, en favorisant une ségrégation par le haut qui, fatalement, entraîne une ségrégation par le bas de nombre d’établissements publics vaincus d’avance, n’est-on pas en droit d’exiger que, pour le moins, le montant de l’argent public qu’il reçoit de l’État soit rigoureusement articulé à sa participation réelle à l’intérêt général et aux idéaux républicains?
Plus fondamentalement, d’autres modèles sont possibles, comme l’exemple finlandais, souvent cité, en témoigne. Pierre Merle, dans La ségrégation scolaire (2012), le décrit ainsi: «Ainsi, la pédagogie finlandaise repose sur la valorisation des réussites plutôt que la sanction des échecs, la réussite de tous et non la constitution d’une élite scolaire. Le refus du classement et de la concurrence interindividuelle ou interétablissements est emblématique de la pédagogie finlandaise. […] La non-mise à l’écart des élèves en difficulté scolaire, par une note stigmatisante, un redoublement ou une filière de relégation, est au fondement du système non ségrégatif finlandais.»
La France a choisi de réserver les meilleures places à une oligarchie scolaire d’ailleurs de moins en moins performante.
Pierre Merle rappelle aussi que la Finlande a accompagné sa politique de massification scolaire, contemporaine de la nôtre, d’une action volontariste en faveur de l’enseignement public: dans ce pays, 97% des établissements sont publics. Certes, la Finlande n’est pas la France, il n’empêche qu’elle a choisi d’aborder la démocratisation scolaire autrement et ses résultats dans les études PISA donnent à penser que sa voie est meilleure.
La France a choisi, elle, d’embarquer sa jeunesse dans une concurrence exacerbée et délétère, terriblement anxiogène et antipédagogique, qui aliène plus qu’elle n’émancipe, où seuls les plus aisés peuvent trouver leur compte, où la porte se referme à la figure des moins bien lotis si bien que, s’ils arrivent malgré tout à l’enfoncer, c’est au prix d’une exceptionnelle volonté à surmonter les obstacles qu’on n’attend assurément pas de leurs petits camarades mieux nés.
La France a choisi de s’interdire un sain renouvellement de ses élites, qui seul permettrait qu’elles soient vraiment représentatives de la société. La France a choisi de réserver les meilleures places à une oligarchie scolaire d’ailleurs de moins en moins performante, et de laisser en chemin tous ceux qu’elle avait le devoir de porter, en restant aveugle à tout ce qu’ils pouvaient, en retour, lui donner.
La France a choisi le séparatisme social, au profit d’une nouvelle aristocratie, sans se poser une question pourtant essentielle à la construction d’une société sereine, culturellement riche, éthique et libre: si nos enfants ne se rencontrent pas à l’école, où se rencontreront-ils? S’ils ne se connaissent pas à l’école, comment apprendront-ils à se reconnaître?
Sophie Audoubert